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Investissement durable

Pourquoi tout le monde parle de... ESG bashing

mars 26, 2024 - 6 Temps de lecture

Il n’y a pas si longtemps, rien ne semblait pouvoir contrarier l’ascension apparemment inarrêtable de l’enthousiasme pour l’investissement durable. Toutefois, depuis 2023, la thématique ESG connaît des turbulences des deux côtés de l’Atlantique. Ce désintérêt est-il temporaire ou va-t-il s’inscrire dans la durée ?

Face aux risques que font peser le réchauffement climatique et la perte de biodiversité, sous la pression de l’opinion publique et des rapports scientifiques de plus en plus alarmants, les gouvernements ont mis en place des politiques publiques ambitieuses. Les États-Unis ont lancé leur Inflation Reduction Act et l’Union européenne a dévoilé son programme de financement Next Generation EU.

Avant ces plans de relance, l’UE avait déjà fait adopter l’Accord de Paris sur le climat (2015) et le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (2022), qui complètent le Pacte vert (Green Deal) et la loi sur la restauration de la nature. Ce contexte réglementaire et politique a créé un appétit pour les investissements favorables au climat et à la biodiversité, notamment les investissements ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).

Les fonds labélisés ESG visent à investir dans des sociétés et des actifs démontrant de solides pratiques ESG et alignés sur certains Objectifs de Développement Durable. Ces fonds ont fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des investisseurs, affichant leur résilience pendant la pandémie en raison de leur faible exposition au secteur de l’énergie.1 En Europe, les flux de souscription vers les fonds ESG ont augmenté pour atteindre 233 milliards d’euros en 2020, contre 126 milliards l’année précédente.1

Cependant, ce mouvement a été stoppé net peu après l’invasion russe en Ukraine. La résurgence de l’inflation, en partie alimentée par l’augmentation des coûts de l’énergie, a entraîné une hausse rapide et continue des taux d’intérêt qui a pénalisé les investissements dans la transition énergétique, très capitalistiques et dépendants des subventions, soit le passage des sources d’énergies fossiles, telles que le charbon, le pétrole ou le gaz naturel, aux sources d’énergie renouvelables et bas carbone telles que l'énergie solaire, éolienne, hydroélectrique et géothermique. Ce ralentissement est particulièrement visible dans le cas de l’éolien offshore, comme l’illustrent les difficultés rencontrées par le géant suédois de l’énergie Vattenfall et par le danois Ørsted, spécialiste de l’éolien en mer.2

Parallèlement, de nombreux pays européens qui dépendaient traditionnellement du gaz russe ont décidé de sécuriser leur approvisionnement en énergie en recourant au gaz naturel liquéfié (GNL), souvent importé des États-Unis ou du Qatar. Le message était clair : la sécurité énergétique a pris le pas sur les préoccupations environnementales.

Depuis, les gouvernements européens, dont les dettes représentaient en moyenne 89,9 % du PIB au 3e trimestre 2023,3 ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’ignorer indéfiniment le Pacte de stabilité et de croissance.4 Après avoir été suspendues en mars 2020 en raison de la crise Covid, les règles budgétaires européennes sont de nouveau en vigueur depuis janvier 2024. Par ailleurs, les perspectives pour l’Europe suggèrent que la croissance devrait rester faible dans un futur proche,5 la croissance du PIB devrait atteindre environ 0,5 % en 2024, après 0,5 % en 2023, ce qui semble annoncer le retour à l’austérité budgétaire.

En mars 2024, la France a été contrainte de procéder à des coupes budgétaires de 10 milliards d’euros, dont 2 milliards pour l’environnement, après avoir revu à la baisse sa prévision de croissance. D’autres pays européens, tels que l'Allemagne et l’Italie, procèdent à des réductions similaires.6

Ces choix court-termistes compromettent les chances de réussite d’une transition qui nécessite des investissements massifs à long terme. Selon l’étude de l’Institut Rousseau intitulée Road to Net Zero, l’Europe devrait investir 1 520 milliards d’euros par an pour atteindre l’objectif « zéro émission nette » d’ici à 2050.7

La combinaison du contexte géopolitique et financier permet donc d’expliquer ce recul de l’ESG des deux côtés de l’Atlantique. Le résultat immédiat est le recul des ambitions climatiques, à la fois dans la sphère politique et dans celle de l’investissement.

Pourquoi ce revirement de la part des investisseurs concernant le changement climatique ?

En termes simples, l’ESG n’a pas généré les performances financières souhaitées ces derniers temps, et la nécessité absolue d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 ne diminue pas la demande des investisseurs en matière de rendement. Contraints par leur responsabilité fiduciaire envers leurs clients, les investisseurs abandonnent la préservation de la biosphère et de la biodiversité pour privilégier la rentabilité.

Selon Morningstar1, les fonds classés article 8 et article 9 selon le règlement SFDR, à savoir ceux intégrant des critères ESG ou ayant un objectif d’investissement durable, ont connu une décollecte en 2023, tandis que les fonds article 6, qui ne tiennent pas compte des critères ESG dans leur processus d’investissement, ont collecté 93 milliards d’euros en Europe.

Après deux bonnes années, 2020 et 2021, au cours desquels les fonds labellisés ESG ont majoritairement montré leur résilience, ceux-ci n’ont pas tenu leur promesse de combiner performances financières et extra-financières en 2022. Cet échec est largement dû au fait que les cours des actions liées aux énergies fossiles, auxquelles les fonds ESG étaient sous-exposés, sont montés en flèche pendant que ceux des valeurs technologiques et de croissance, auxquelles les fonds ESG étaient surexposés, s’effondraient.8

Dans la foulée, certains des plus grands gestionnaires d’actifs mondiaux ont revu leurs ambitions ESG à la baisse. BlackRock, JP Morgan AM, Pimco et State Street Global Advisors ont quitté la coalition d’investisseurs Climate Action 100+9 en février 2024. Ce recul apparent de la part de la communauté de l’investissement durable se reflète également dans les changements apportés aux politiques de vote par procuration : BlackRock, State Street et Vanguard ont considérablement réduit leur soutien aux propositions d'actionnaires liées aux problématiques environnementales et sociales.10

Quel est le rôle de la politique dans ce revirement ?

Des deux côtés de l’Atlantique, les décideurs politiques sont soumis à la pression de leurs administrés et des lobbyistes, et cherchent à assouplir les contraintes environnementales.

Aux États-Unis, les Républicains veulent continuer à soutenir les États producteurs de pétrole et de charbon, l’emploi américain et la sécurité énergétique, et se refusent à exclure les énergies fossiles des fonds ESG.11

En Europe, les parties de droite et d’extrême-droite gagnent du terrain à la fois dans les intentions de vote et dans les coalitions gouvernementales. L’extrême droite est au pouvoir en Italie et en Hongrie, et fait partie d’une coalition aux Pays-Bas. À partir de juillet, Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne pour six mois.

Que veulent-ils ? D’une part, les partis conservateurs et de la droite radicale remettent en question des politiques environnementales, les jugeant trop restrictives. Ainsi, sous la pression des lobbies industriels et agricoles, le glyphosate a été réautorisé pour 10 ans en Europe12, et le plan Écophyto visant à réduire l’usage des pesticides en France vient d’être suspendu en réponse à la colère des agriculteurs,13 au nom d’une simplification des normes environnementales.

En mai 2023, le président français Emmanuel Macron a appelé à une « pause réglementaire européenne » concernant les normes environnementales qui défavorisent l’Union européenne par rapport à ses pays concurrents moins vertueux dans ce domaine.

Quelle pourrait être l’évolution en 2024 ?

Des élections décisives auront lieu en 2024 en Europe et aux États-Unis. Leurs implications sur la question climatique ne doivent pas être sous-estimées.

Le Pacte vert, le paquet législatif destiné à permettre aux pays de l’Union européenne de respecter l’Accord de Paris et de limiter les conséquences du réchauffement climatique, serait menacé si les partis de droite du Parlement européen devaient obtenir la majorité à l’issue des élections européennes de juin. Une telle configuration représenterait un énorme pas en arrière pour la cause environnementale.

De l’autre côté de l’Atlantique, bien qu’il serait absurde de vouloir prédire le résultat de l’élection présidentielle américaine de novembre 2024, il convient de rappeler que le passé peut souvent permettre de comprendre le présent. Ainsi, en juin 2017, dès le début de son mandat, Donald Trump, l’ancien président et climatosceptique assumé, annonçait son intention de se retirer des accords de Paris et de revenir sur les mesures prises par Barack Obama pour lutter contre le changement climatique.

S’il était réélu cette année, Donald Trump chercherait encore à détricoter le travail de son prédécesseur. Les conseillers et les associés de Donald Trump ont indiqué que le démantèlement de la loi Inflation Reduction Act votée par le président Biden figurerait en tête du programme14 du candidat républicain. Bien que cette loi ait été promulguée, il ne s’agit ni d’un règlement pris par une administration fédérale, ni d’un décret, ce qui signifie que toute modification substantielle devrait passer par le Congrès.

L’issue du duel Trump-Biden, qui peut prolonger ou limiter l’étendue du retour de bâton anti-ESG, pourrait être influencée par plusieurs facteurs : une condamnation de Donald Trump suite à un ou plusieurs des 91 chefs d'inculpation contre lui, un changement dans la politique de soutien inconditionnel à Israël affichée par Joe Biden, voire un ralliement de Taylor Swift et de ses « swifties » au candidat démocrate.

Si les politiques environnementales peuvent accélérer ou ralentir au gré des élections, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 reste non négociable : l’horloge et le compteur des émissions carbone continuent de tourner.

 

References

1 Source: Morningstar Research, 3 February, 2021, European Sustainable Funds Landscape: 2020 in Review

2 Source: The Guardian, February 2024, https://www.theguardian.com/

3 Source: https://ec.europa.eu/

4 Under the terms of the EU's Stability and Growth Pact (SGP), Member States pledged to keep their deficits and debt below certain limits: a Member State's government deficit may not exceed 3 % of its gross domestic product (GDP), while its debt may not exceed 60 % of GDP. If a Member State does not respect these limits, the so-called excessive deficit procedure (EDP) is triggered. This entails several steps — including the possibility of sanctions — to encourage the Member State concerned to take appropriate measures to rectify the situation.

5 Source: Ostrum Perspectives, January 2024

6 Source: le Monde, February 2024, https://www.lemonde.fr/

7 Source: ‘Road to Net Zero’, https://institut-rousseau.fr/

8 Source: Morningstar Research, SFDR Article 8 and Article 9 Funds: Q4 2023 in Review, 25 January 2024, page 3

9 Source: The more than 700 investors in the Climate Actions 100+ initiative, launched at the One Planet Summit in December 2017, are calling on companies to improve their climate change governance, reduce their greenhouse gas emissions and strengthen their climate-related financial disclosures.

10 Source: The Financial Times, January 2024, https://www.ft.com/

11 Source: Natixis IM, 2024, https://www.im.natixis.com/

12 Source : Reuters, 16 November 2023, EU to renew herbicide glyphosate approval for 10 years, https://www.reuters.com/

13 Source: France 24, 2 February 2024, French govt slammed for putting pesticide phase-out on hold, https://www.france24.com/

14 Source: The Financial Times, November 2023, https://www.ft.com/

Le présent document est fourni à titre informatif uniquement, son contenu ne doit pas être interprété comme des conseils en investissement. Les opinions exprimées dans le présent article à la date indiquée sont susceptibles de changer et nous ne pouvons pas garantir que les évolutions seront conformes aux prévisions de cet article. Tout investissement susceptible de générer des bénéfices comporte également un risque de perte, y compris de perte en capital.

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